L’innocence et la joie viennent nous visiter lorsque nous méditons

Nous avons raté quelque chose. Nous n’avons pas fait ce que nous aurions voulu ou de la façon dont nous aurions voulu le faire. Nous n’avons pas su répondre à une main tendue. Nous avons été absents alors qu’il ne le fallait pas. Nous avons été en dessous des espérances et des attentes des autres.
Nous croyons d’ordinaire que nous ne pouvons plus revenir en arrière. Voilà c’est comme cela. Il nous faudra vivre avec ça.
Nous nous en voulons ou encore nous nous justifions. Mais cela ne règle pas du tout le problème. Le poids de nos échecs nous pèse.
Nous continuons bien sûr à vivre, à faire comme si de rien n’était, mais au fond de nous, nous sommes profondément déçus.
La méditation est une approche tout à fait surprenante car elle nous fait revenir à l’innocence. Comme au jeu de l’oie, en méditant, nous revenons à la case départ.
Cela semble impossible, fou et pourtant nous en faisons l’expérience de façon toute simple chaque fois que nous pratiquons.
Non pas que nous fassions comme si de rien n’était. Ou encore que le passé soit effacé. Non bien sûr. Mais tout en soutenant les conséquences de nos actions, nous revenons au point originaire.
Voilà ce qu’explique le poète Rainer Marie Rilke, le 18 Novembre 1920, dans une lettre à Merline :
« Toujours au commencement du travail il faut se refaire cette innocence première, il faut revenir à l’endroit naïf »
Il faut être poète pour oser un tel propos, car d’ordinaire, nous pensons l’inverse : il faut toujours élaborer de nouvelles stratégies, pour être plus malin ou plus efficace.
L’innocence
La notion d’innocence implique d’être sans calcul — simplement disposé et ouvert.
Par exemple, regarder une chose avec innocence c’est la voir comme pour la première fois. A l’inverse, vous pouvez la regarder en cherchant à déterminer de quelle origine elle est, combien elle pèse, son prix, son rendement etc.
Pour le dire autrement, l’innocence est une manière d’être libre de la conscience qui juge, jauge et qualifie. C’est regarder quelque chose comme pour la toute la première fois.
N’est-ce pas magnifique ? Pour nous l’innocence, c’est précisément ce qui ne s’apprend pas. Eh bien, il est possible de l’apprendre. Mais la difficulté est que l’innocence ne s’apprend pas à la manière d’une information nouvelle mais en nous posant simplement dans le présent vivant. Et en effet se poser dans le présent, ne rien faire, s’apprend !
C’est tout simple. Il suffit de s’asseoir pour de bon. D’être simplement présent à ce qui est. Et peu à peu, se décantent nos conceptions, attentes et constructions mentales.
Car ce que notre mental produit, c’est bien là où se trouve la gangrène. Nous sommes dupés par la production et l’ambiance des films que nous nous créons.
Pour ne pas arrêter cela, nous justifions que c’est l’extérieur, mais à bien y regarder, nous pouvons recréer cette joie sans raison qui va tinter et attirer les expériences de notre vie et non le contraire.
Le commencement
Quand je retrouve cette innocence, c’est-à-dire quand toutes mes préoccupations, mes préconceptions, mes peurs se sont posées, alors je peux me relier à la situation à neuf. Je peux faire quelque chose que je n’avais pas prévu. Il m’est possible de commencer pour de bon, quoi que ce soit. Je ne me sens plus prisonnier du passé et je peux retrouver cette joie non obscurcie.
Quand quelqu’un s’engage dans la peinture, il pourrait se dire « mais il y a déjà des millions de tableaux qui ont été réalisés ». Et pourtant, il faut qu’il décide de peindre comme si on n’avait encore jamais fait un seul tableau.
Rilke dans Les cahiers de Malte Laurids Brigge écrit ce passage magnifique:
L’ange
Voici le passage où se trouve la phrase de Rilke :
« Toujours au commencement du travail il faut se refaire cette innocence première, il faut revenir à l’endroit naïf où l’Ange vous a découvert quand il vous rapportait le premier message engageant ; il faut retrouver derrière les ronces, cette couche où alors on était endormi, cette fois-ci on n’y dormira pas : on va prier et gémir — n’importe ; si l’Ange daigne venir, ce sera parce que vous l’aurez convaincu, non pas avec des pleurs, mais par votre humble décision de commencer toujours ».
Rilke identifie l’innocence qui est synonyme de joie à la venue de l’ange.
Pourquoi ?
Pour montrer que cette innocence n’est pas une sorte d’identité, ou une qualité, mais vient nous visiter. Elle ne nous appartient pas.
Et pourtant, elle est là au plus profond de nous. Il faut juste apprendre à l’écouter. A ne plus la recouvrir de toutes nos explications habituelles qui nous empêchent d’entendre cette sagesse qui en nous sait. Il suffit de l’écouter. De l’interroger. De lui demander.
C’est un point tout à fait important. Lorsque nous méditons, à un moment nous sommes perdus dans nos préoccupations. Nous calculons, prévoyons, planifions. Et d’un seul coup nous revenons à la simplicité ou plutôt la simplicité nous gagne.
Parfois alors l’ange vient. Et il vient non parce que nous avons su l’appeler avec force, parce que notre volonté aura été ferme, ou encore grâce à l’intensité de nos larmes, mais simplement par notre humble décision de commencer, de se poser, de se mettre à nu. De nous tourner vers l’espace ouvert.
Je crois que là réside le sens profond de la méditation.
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